Colloque Le procès environnemental : du procès sur l'environnement au procès pour l'environnement

 

                 

 

 

Colloque « Le procès environnemental : du procès sur l’environnement au procès pour l’environnement »
21 octobre 2019 - Grand’chambre de la Cour de cassation
Sous la responsabilité de
Mathilde HAUTEREAU-BOUTONNET, Professeure à l'AMU
et Eve TRUILHE
, Directrice de recherche au CNRS
Avec le soutien de la Mission de recherche Droit et Justice

 

Parce que la protection de l’environnement est aujourd’hui l’un des enjeux majeurs de notre société, les procès mettant en jeu les règles substantielles du droit de l’environnement sont de plus en plus fréquents. Soulevant des questions de droit public ou privé, se déroulant dans l’ordre interne, européen et international, destinés à rétablir la légalité ou à établir des responsabilités, les litiges environnementaux sont porteurs de difficultés processuelles.
 

Convient-il d’assouplir les conditions de l’accès au juge dans tous les ordres ? D’accorder à la nature la qualité de sujet de droit ? Faut-il améliorer la place de l’expertise devant le juge ?  Renforcer la spécialisation du juge dans le domaine environnemental, voire créer des tribunaux environnementaux ?

Ces questions, soulevées par le Rapport « Le procès environnemental : du procès sur l’environnement au procès pour l’environnement » soutenu par la Mission de Recherche Droit et Justice ont guidé la réflexion lors d’un colloque organisé par Mathilde Hautereau-Boutonnet et Eve Truilhé, le 21 octobre 2019 à la Cour de cassation.

 

Le colloque réunissait des universitaires, des magistrats, des avocats et des associations de protection de l’environnement. Voir le programme ici :

Le programme est accessible à l'adresse : https://www.courdecassation.fr/venements_23/colloques_4/2019_8992/proces...

 

 

Le rapport sur « Le procès environnemental : du procès sur l'environnement au procès pour l'environnement »
(version complète)

 

 

 

Synthèse des résultats de la recherche

 

Pour une part, la recherche, avec une méthode plus rétrospective, met en évidence la réponse que le droit processuel apporte au traitement des litiges environnementaux collectifs, transnationaux et/ou complexes. Il s’avère que, selon les ordres, les règles processuelles se montrent plus ou moins bien adaptées.

 

Il en est ainsi des règles gouvernant, lors de l’ouverture du procès, l’action en justice. Alors que certaines juridictions limitent le droit d’accès au juge en le réservant strictement aux États, d’autres l’ouvrent à un grand nombre de sujets de droit, y compris à la nature. Par ailleurs, alors qu’un grand nombre d’ordres adoptent une conception très stricte de l’intérêt à agir personnel, d’autres se montrent plus souples et accordent un droit d’agit à certaines personnes morales. Le contraste existe aussi en ce qui concerne la compétence du juge : alors que, lors d’un conflit transnational, certaines ordres nationaux restent frileux à reconnaître la compétence du for pour les dommages environnementaux subis par des victimes domiciliées sur un territoire étranger, d’autres y sont plus favorables.

 

Les nuances existent aussi s’agissant des règles gouvernant le déroulement du procès. Au cours de l’instance, aucun des ordres n’admet la possibilité de ne pas prouver et refusent que la causalité juridique ne s’éloigne trop radicalement de la causalité scientifique. Au contraire, certains ordres nationaux ont opéré des évolutions importantes pour permettre au juge d’être mieux éclairé sur les données scientifiques du litige. Il en est ainsi de la mise en place de la procédure dite « concurrent evidence » et des juridictions spécialisées dans le domaine environnemental. Quant à l’issue de l’instance, s’il est vrai que la plupart des ordres permettent au juge de prescrire des mesures préventives et réparatrices, certains juges ont le pouvoir de prescrire des mesures de réparation plus adaptées à la réparation du préjudice écologique.

 

Pour une autre part, la recherche, par une méthode plus prospective, met en évidence les réponses que le droit processuel pourrait apporter à la résolution des litiges environnementaux.

 

Ici, les résultats s’appuient notamment sur les solutions existant dans certaines ordres et susceptibles d’être généralisées et/ou améliorées. Il en est ainsi de la possibilité de créer des actions attitrées devant les juridictions internes et d’assouplir l’intérêt à agir devant le juge de l’Union européenne, de diffuser le devoir de vigilance des entreprises dans les différents ordres tant il pourrait permettre aux victimes de trouver un juge compétent dans des pays plus à même d’appliquer le droit de l’environnement, de moderniser le recours à l’expertise et d’améliorer la spécialisation des juges, en particulier du parquet, pour permettre au juge de « mieux juger » et de renforcer les pouvoirs du juge en matière de prévention et réparation, en créant une action préventive et en renforçant l’efficacité et l’effectivité de la réparation en nature.

 

Plus précisément, ici, la recherche entend faire œuvre de propositions qui pour l’instant se trouvent au nombre de 20, à savoir :

 

  1. Encourager les victimes à porter leur action devant les juridictions internes ou régionales face aux limites du droit d’agir devant les juridictions internationales
  2. Encourager la poursuite d’une réflexion sur l’opportunité de la création des droits de la nature et d’une actio popularis devant les juges internes
  3. Encourager la création d’actions attitrées dans les ordres nationaux sous l’influence notamment d’une convention internationale favorisant l’ouverture de l’accès au juge dans le domaine environnemental, tel le Pacte mondial pour l’environnement
  4. Encourager l’assouplissement des conditions de l’intérêt à agir devant le juge de l’Union européenne
  5. Encourager la diffusion dans les différents ordres nationaux, sous l’influence du législateur ou du juge, du devoir de vigilance pour favoriser la compétence du juge du for
  6. Encourager dans les différents ordres nationaux la reconnaissance d’un for de nécessité
  7. Encourager la référence à la nomenclature des préjudices écologiques pour mieux prouver et mieux réparer (cf Rapport Jégouzo sur la réparation du préjudice écologique)
  8. Encourager l’amélioration des compétences de l’expert et son financement, (cf Rapport Jégouzo sur la réparation du préjudice écologique)
  9. Encourager la mise en place de procédure de rationalisation du recours à l’expertise pour le règlement des litiges environnementaux les plus sensibles, sur le modèle de la « concurrent evidence »
  10. Encourager la création de parquets spécialisés en environnement
  11. Encourager la création de «pôles environnement » au sein de juridictions judiciaires
  12. Encourager la création d’un juge administratif « à guichet unique » en droit de l’environnement
  13. Encourager l’élargissement du contrôle de légalité aux actes préparatoires
  14. Encourager la mise en place d’un référé spécial en matière d’environnement
  15. Encourager la reconnaissance de la finalité préventive de l’action en responsabilité civile
  16. Encourager la création d’un guide des mesures préventives et réparatrices à l’intention des juges et parties
  17. Encourager le renforcement de l’efficacité des mesures réparatrices par un dispositif invitant le responsable à soumettre à l’avis de l’Autorité environnementale un plan de réparation précisant les types de mesures et les modalités de la réparation en nature ou par affectation
  18. Encourager le renforcement de l’effectivité de la réparation du préjudice écologique en imposant au responsable ou bénéficiaire des dommages-intérêts affectés à la réparation des atteintes à l’environnement d’informer l’Autorité environnementale de son exécution et d’autoriser l’État, en cas d’échec, à adopter les mesures au frais des intéressés
  19. Encourager la reconnaissance du contrat de réparation du préjudice écologique conclu entre les parties après avis de l’Autorité environnementale pour mettre en œuvre les mesures de réparation
  20. Encourager l’adoption d’un guide du procès environnemental

 

                                                                

Eve Truilhé, Directrice de recherche au CNRS et Mathilde Hautereau-Boutonnet, Professeure à l'AMU