Nathalie RUBIO, professeure à l'Université d'Aix-Marseille, co-organisatrice du colloque Solar Final Event
Entretien mené par Martine PERRON, chargée de la communication et de la valorisation au CERIC-UMR DICE
La « SOFT Law » ou le droit souple fait partie intégrante du paysage juridique actuel. Nathalie Rubio, vous avez coordonné en octobre dernier avec plusieurs équipes de recherche européennes le colloque de clôture du réseau scientifique SoLaR (Soft Law Research Network) afin notamment d’éclaircir ce phénomène :
Effectivement, les 17 et 18 octobre 2019, la Faculté de droit et de science politique d’Aix-Marseille a accueilli tous les collègues impliqués dans cette recherche sur la soft law depuis trois ans. Se sont exprimés des représentants des universités partenaires du Réseau européen Jean Monnet SoLaR (Finlande, Pays-Bas, Royaume-Uni, Allemagne et Slovénie) mais également des collègues qui nous ont rejoints spécialement pour cet évènement (Espagne, Italie, Hongrie). Nous avons eu également l’honneur de recevoir d’éminents membres de la Cour de justice de l’Union européenne : le juge finlandais Niilo Jääskinen, l’ancien avocat général Sir Francis Jacobs ainsi que l’avocat général Michal Bobek qui avait rendu des conclusions très remarquées sur le contrôle juridictionnel des actes de soft law (Affaire Belgique contre Commission, C-16/16, du 12 décembre 2017).
Je vous conseille d’ailleurs de regarder le petit film de présentation qui a été tourné à cette occasion et qui permet aux coordonnateurs académiques des différentes universités d’expliquer les enjeux de la recherche menée sur la soft law (lien vers la vidéo)
Pouvez-vous nous dire tout d’abord ce que signifie l’expression Soft Law ? Quelle est son utilité ? Et qu’est-ce que cette notion recouvre exactement ?
A vrai dire, l’expression « soft law » renvoie à une réalité très diversifiée, mouvante et contingente. De façon générale, il s’agit d’un droit non contraignant mais susceptible de produire des effets. Donc, cela regroupe différents types d’actes : communications, lignes directrices, recommandations… Dans son rapport annuel de 2013, le Conseil d’État français en a donné une définition qui a d’ailleurs été souvent reprise par la doctrine, y compris au niveau européen. Il s’agit de l’ensemble des instruments réunissant trois conditions cumulatives : « ils ont pour objet de modifier ou d’orienter les comportements de leurs destinataires, en suscitant dans la mesure du possible, leur adhésion ; ils ne créent pas par eux-mêmes de droits ou d’obligations pour leurs destinataires ; ils présentent, par leur contenu et leur mode d’élaboration, un degré de formalisation et de structuration qui les apparente aux règles de droit ».
Est-ce que cela signifie que nous allons vers un assouplissement de la normativité du droit ? Qu’à terme la soft law pourrait se substituer ou du moins compléter le droit positif ?
Je dirais que la soft law n’a pas vocation à se substituer au droit dur, elle l’accompagne, le complète, lui permet d’évoluer plus facilement. La soft law est plutôt envisagée dans une « échelle de normativité graduée » (expression encore empruntée au Conseil d’Etat). Ceci est très prégnant dans le secteur de la réglementation de la concurrence par exemple, au niveau national comme au niveau européen. De même, les autorités françaises de régulation (autorité de la concurrence, autorité des marchés financiers, conseil supérieur de l’audiovisuel…) en font un usage qui a conduit le juge à s’interroger sur leur portée en pratique et leur contrôle effectif.
Sur ces points, je renverrais volontiers nos lecteurs aux documents de travail publiés sur le site internet de SoLaR qui font le point sur l’état de l’art (Literature Review) et sur les résultats obtenus dans chacun des domaines d’activité étudiés (concurrence, social, environnement, finances) : https://www.solar-network.eu/publications/solar-working-papers/
La soft law peut-elle à la fois sauvegarder des droits et être considérée comme un facteur de développement des droits ?
Cette question renvoie aux paradoxes et aux ambiguïtés inhérentes à la soft law qui peut être certes un facteur d’amélioration du droit par son adaptabilité mais aussi un facteur de détérioration par les risques qui pèsent sur la transparence, la sécurité juridique et plus généralement sur les principes démocratiques. D’ailleurs, des interviews ont été menés par notre équipe dans les différents États partenaires et ces craintes étaient très souvent rappelées par les différents professionnels interrogés (juges, avocats, représentants des ministères). Cela étant, l’utilité de ces instruments était également mise en avant.
Au vu des recherches menées au sein du réseau SoLaR, que change la solft law dans l’élaboration du droit ?
A vrai dire, cette question pourrait être le point de départ d’un nouveau projet de recherche… En effet, la recherche SoLaR s’est essentiellement concentrée sur les questions d’application, d’invocabilité et de contrôle par les juges nationaux des actes européens de soft law dans les secteurs de la concurrence, de l’environnement, du social et des finances. Les résultats seront publiés très prochainement dans un ouvrage collectif EU Soft Law in the Member States: Theoretical Findings and Empirical Evidence, sous la direction de Mariolina Eliantonio, Emilia Korkea-aho and Oana Stefan (Hart Publishing).
Cette question des modalités et des acteurs de l’élaboration du droit a également été abordée lors d’un séminaire d’étude comparée Union européenne – Chine qui a eu lieu à Shenzhen (Peking University, School of transnational law, Chine) et qui était organisé par notre éminent collègue le Professeur Francis Snyder le 13 novembre 2019. Cette rencontre a montré toute la dimension et les potentialités de poursuite de la recherche sur ce sujet.
http://stl.pku.edu.cn/news-and-events/stl-hosts-international-workshop-on-soft-law/