Les enjeux de la mise en œuvre de l’accord de Paris. Approche comparative franco-italienne
Les enjeux de la mise en œuvre de l’accord de Paris. Approche comparative franco-italienne
Le projet se donne pour objectif d’analyser de manière comparative la mise en œuvre française et italienne de l'Accord de Paris, en mesurant le rôle du contentieux dans cette perspective. Nous examinerons la jurisprudence nationale afin d'évaluer les éventuelles tendances émergentes en matière d'interprétation et leurs implications concrètes pour les acteurs politiques. Cela permettra de dresser un premier bilan de l'éventuel "apprentissage mutuel" des juges nationaux, qui pourrait conduire à un éventuel "droit climatique transnational".
Si de nombreux États se sont engagés à atteindre la neutralité carbone d'ici 2045, 2050 ou 2060, peu d'entre eux ont des trajectoires d'émissions compatibles avec cet objectif. L'Italie se classe au 4e rang des plus importants émetteurs de gaz à effet de serre de l'Union européenne. Afin d'atteindre les objectifs de décarbonation et de répondre aux préoccupations en matière de sécurité énergétique, le gouvernement italien entend accélérer la transition des combustibles traditionnels vers les sources renouvelables, en favorisant l'abandon du charbon comme source d'énergie à partir de 2025. Lorsque la stratégie nationale de décarbonation à long terme sera finalisée, elle définira plus précisément le paysage et la voie à suivre pour atteindre l'objectif de neutralité carbone de 2050. En France, quatre secteurs sont responsables de 85 % des émissions (transport, agriculture, bâtiment, industrie). Adoptée en 2019, la loi énergie-climat a fixé des objectifs ambitieux pour la politique climatique et énergétique française. Elle fixe l'objectif de neutralité carbone en 2050 pour répondre à l'urgence climatique et à l'Accord de Paris. Le texte doit être complété et approfondi par la loi sur le climat et la résilience, qui sera le résultat d'une expérience démocratique inédite : la Convention citoyenne pour le climat. Cependant, dans les deux pays, l'incertitude règne quant aux trajectoires pour atteindre la neutralité programmée ainsi que sur la législation associée ; les plans de relance post-Covid semblent jusqu'à présent être une occasion manquée d'accomplir des ambitions plus élevées. Dans ce contexte, de plus en plus consciente de la gravité des risques encourus, la société civile se mobilise de diverses manières, notamment en utilisant "l'arme du droit" et en portant les actions stratégiques pour le climat devant les juridictions nationales et internationales, les juges interpellant directement les États sur leurs contradictions.
La France et l'Italie sont attraites devant la Cour européenne des droits de l'homme, avec 31 autres États parties à la Convention européenne des droits de l'homme, dans une affaire initiée par six jeunes Portugais âgés de 8 à 21 ans qui se plaignent des pics de chaleur causés par le changement climatique, notamment des grands incendies et de l'impact sur leurs conditions de vie et leur santé, les empêchant de sortir pour jouer, entraînant des fermetures d'écoles, des tempêtes menaçant les maisons de deux d'entre eux, les rendant anxieux à l'idée de vivre dans un climat de plus en plus chaud pour le reste de leur vie, ce qui les affecterait, eux et les familles qu'ils pourraient fonder à l'avenir. Ils estiment qu'il n'y a pas de justification objective et raisonnable pour faire peser sur les jeunes générations la charge du changement climatique du fait de l'adoption de mesures inadéquates pour réduire le réchauffement. Les requérants reprochent à ces 33 États d'avoir manqué aux obligations positives qui leur incombent en vertu des articles 2 et 8 de la Convention, lus à la lumière des engagements pris dans le cadre de l'Accord de Paris sur le climat de 2015. La Cour européenne a décidé d'examiner la requête en priorité et a également inclus dans ses questions aux parties une possible violation de l'article 3 de la CEDH.
Contre toute attente, l'article 2 de l'Accord de Paris est au cœur des litiges, alors qu'il n'est même pas formulé comme une obligation : "Le présent Accord, en contribuant à la mise en œuvre de la Convention, notamment de son objectif, vise à ...". Par un effet boomerang, l'Accord de Paris, qualifié de flexible, bottom-up, ne contenant que des engagements procéduraux, et dont le mécanisme de transparence-contrôle international manque d'efficacité, bref, un accord très mou verrouillé par les États pour qu'il puisse faire consensus en 2015, a désormais un effet pratique devant les juridictions nationales ou européennes. Dès lors, il devient intéressant d'étudier, dans une perspective comparative, la jurisprudence italienne et française. L'accent sera mis sur les litiges stratégiques pendants.
Contrairement à la France (mais aussi à l'Irlande, à l'Allemagne et aux Pays-Bas), il n'existe pas encore en Italie de jurisprudence explicitement et exclusivement consacrée à la question du changement climatique anthropique et aux obligations publiques et privées relatives. Néanmoins, deux litiges pertinents sont actuellement en cours. D'une part, le litige administratif intenté par ENI contre la sanction antitrust pour "allégations environnementales non fondées" du produit fossile "diesel+", concernant le soi-disant "Greenwashing" dans la communication commerciale des entreprises qui impactent le climat ; et d'autre part, le recours extraordinaire auprès du Président de la République déposé par soixante citoyens contre le Ministère du développement économique concernant un nouveau méthanoduc. Les requérants affirment que le projet a été autorisé et prolongé malgré les déclarations d'urgence climatique du gouvernement et du Parlement européen et sans évaluation préalable de la compatibilité climatique et de l'utilité de l'infrastructure dans le nouveau scénario de réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre, dans le cadre du "green deal" européen (au moins -55% d'ici 2030). En outre, il en va du respect du bilan carbone que les États ne doivent pas dépasser pour rester dans les limites d'augmentation de température convenues par l'Accord de Paris.
Par ailleurs, le premier procès civil pour non-respect du climat contre l'État intitulé "Jugement dernier" est sur le point d'être déposé (www.giudiziouniversale.eu). Il n'aura pas pour but d'annuler un acte législatif ou administratif spécifique ni de recevoir une compensation pour des dommages, mais les requérants prévoient de demander à la Cour d'ordonner au gouvernement italien de réduire les émissions de GES, ainsi que d'informer correctement les citoyens et les entreprises relevant de la juridiction de l'Italie sur les risques liés au changement climatique et sur les politiques adoptées pour prévenir et répondre à ces risques. Les requérants seront des citoyens italiens, dont certains mineurs représentés par leurs parents, ainsi que des ONG environnementales et sociales. La plainte sera portée devant un juge civil ordinaire et sera adressée à la présidence italienne du Conseil des ministres. Le "Jugement dernier" constituera un exemple représentatif de "litige climatique stratégique fondé sur les droits de l'homme", suivant les traces de l'affaire Urgenda. Pour les requérants, par son action insuffisante en matière de climat, l'Italie viole également son obligation positive de protéger les droits de l'homme découlant du droit international, européen et constitutionnel. L'État italien a l'obligation de fournir à la population un accès adéquat à l'information sur les causes et les effets du changement climatique ainsi que sur la politique climatique italienne en général, ce qui découle, entre autres, de la Convention de la CEE-ONU sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement (Convention d'Aarhus).
Si on laisse de côté les procès en cours contre l'entreprise Total, la France connaît actuellement deux procès lancés contre le gouvernement. L'affaire Grande-Synthe, qui sera tranchée au printemps par le Conseil d'État, a donné lieu à une décision provisoire très intéressante le 19 novembre 2020. Celle-ci clarifie les engagements climatiques de la France et rappelle également les engagements de l'État français. En particulier, elle donne un poids important aux objectifs de la CCNUCC et de l'Accord de Paris (articles 2), aux objectifs européens (matérialisés par la contribution européenne déterminée au niveau national) ainsi qu'à une loi programmatique comme la loi climat énergie de 2019.
Le Conseil d'État souligne les insuffisances des politiques mises en œuvre pour atteindre les objectifs fixés. Il regrette une inflexion de la trajectoire de réduction des émissions qui conduit à reporter l'essentiel de l'effort après 2020, selon une trajectoire qui n'a jamais été atteinte jusqu'à présent. La décision suggère finalement que le gouvernement devra concilier les objectifs à long terme avec la stratégie et les budgets carbone à court terme. Les décisions rendues dans l'Affaire du siècle par le Tribunal administratif vont dans le même sens, illustrant comment l'État (et demain les entreprises ?) peut se laisser prendre au piège de ses promesses.