Proclimex

Les expertises dans les procès climatiques : fabrique, usages et réception / Expertise in climate litigation : production, uses and reception

Les années passant, la fenêtre d’action permettant d’éviter que les changements climatiques d’origine anthropique fassent sortir la planète d’un « espace de fonctionnement sécurisé » se referme peu à peu. Si nombreux sont les États à s’engager à atteindre la neutralité carbone en 2045, 2050 ou 2060, peu ont aujourd’hui des trajectoires d’émissions compatibles avec cet objectif. De plus en plus consciente de la gravité des risques encourus, la société civile se mobilise de diverses manières, notamment en utilisant l’« arme du droit » et portant la cause climatique dans les arènes judiciaires. De fait, le contentieux climatique explose véritablement devant les juridictions nationales. Le mouvement ne cesse de croître. Ainsi, selon un récent rapport du PNUE, le nombre de contentieux a presque doublé en 3 ans, passant de 884 dans 24 pays en 2017 à au moins 1550 dans 38 pays en 20203. Il s’agit, pour les affaires les plus emblématiques, d’un contentieux stratégique, cette expression désignant la pratique qui consiste à amener une affaire devant un tribunal pour induire un changement de jurisprudence ou une évolution du droit.

 

Ces développements nous ont conduit à monter un nouveau projet de recherche interdisciplinaire associant le droit, la science politique, la sociologie, l’économie et les sciences du climat. Parmi toutes les questions que pose cette nouvelle forme de mobilisation que sont les procès climatiques, l’équipe de Proclimex se propose de s’intéresser à l’enjeu de l’expertise. Enjeu fondamental pour les requérants, qui, pour faire valoir efficacement un point de vue déterminé au service de la cause climatique, n’ont d’autre choix que de s’approprier des connaissances et données d’origines variées, à la fois techniques, complexes et pluridisciplinaires (scientifiques, socio-économiques et juridiques) et de construire sur ces bases un dispositif expert bien souvent enrichi par des connaissances profanes (témoignages de victimes par exemple). Enjeu fondamental aussi pour l’issue du procès, qui s’avère largement déterminée par ces dispositifs experts au cœur des stratégies judiciaires des requérants. Ainsi, les procès climatiques sont un lieu privilégié pour étudier la construction d’une expertise climatique, ses usages et réception par la société, à travers l’institution du procès.

 

Aux fins de ce projet, l’expertise est nécessairement plurielle. Loin d’une vision restrictive la cantonnant à la science « académique », savante, dominante ou aux sciences « dures », les expertises sont définies comme le résultat d’un processus de mobilisation et combinaison de différents savoirs spécialisés pour nourrir l’instruction d’une affaire judiciaire et éclairer la décision d’un tribunal. L’expertise implique la maîtrise de compétences reconnues comme spécifiques et, souvent, mais pas obligatoirement, sanctionnées par des diplômes et des titres professionnels. Ce qui caractérise ici les dispositifs experts que les acteurs mobilisent est qu’ils reposent sur des connaissances d’origine variées, pluridisciplinaires (sciences physiques, sciences de la nature et de l’environnement, économie et gestion, droit, éthique etc.), dont certaines sont controversées ou incertaines, elles-mêmes articulées avec des savoirs profanes. Bien que se manifestant souvent par des énoncés discursifs, l’expertise repose tout autant sur des agencements d’objets (modèles, graphiques, courbes, diagrammes, dossiers, etc.) que sur des mises en scène obéissant à certaines conventions (le rapport, le diagnostic, la plaidoirie, etc.). L’expertise intègre les formes classiques, mais aussi les formes alternatives de production de connaissances à vocation militante. Ici, l’expertise ne statue pas seulement sur l’état de l’environnement (niveau de Co2, fonte des glaciers, montée des eaux, atteinte à la biodiversité, etc.) mais bel et bien sur des modélisations complexes relatives à des prospectives futures et impliquant de multiples effets sociaux, politiques, économiques, éthiques et juridiques.

 

Le projet Proclimex se situe de ce point de vue dans le prolongement des recherches collectives conduites de longue date au CERIC dans le champ de la justice environnementale.

 

On peut mentionner de ce point de vue les projets relatifs :

- à l’expertise et la preuve (http://www.gip-recherche-justice.fr/publication/la-relation-juge-expert-dans-les-contentieux-sanitaires-et-environnementaux/ ; https://lestreilles.hypotheses.org/2699), mais également

- au procès environnemental (http://www.gip-recherche-justice.fr/publication/le-proces-environnemental-du-proces-sur-lenvironnement-au-proces-pour-lenvironnement/ ; https://justiceenvironmentallaw.com/)

- ou encore aux procès climatiques (https://justiceenvironmentallaw.com/climarm/).

 

 

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