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"Le RIP est à tort perçu comme un moyen pour les citoyens de faire valoir une revendication forte"

 Marthe FATIN-ROUGE STEFANINI

 

TRIBUNE DANS LE MONDE

 

Le rejet de la proposition de loi de l’opposition par le Conseil constitutionnel dans le cadre de la réforme des retraites s’inscrit, selon la juriste Marthe Fatin-Rouge Stefanini, dans une jurisprudence qui semble restreindre considérablement les conditions d’utilisation du référendum d’initiative partagée.

 

Publié le 15 avril 2023 à 19h33

 

Le RIP : d’illusions en désillusions

 

Adoptée en 2008 et entrée en vigueur en 2015, la procédure dite « Référendum d’initiative partagée » a été beaucoup critiquée pour sa complexité et la très faible probabilité d’aboutir à un référendum. Pourtant, la décision RIP 1 rendue par le Conseil constitutionnel en 2019, sur une proposition visant à contrecarrer une disposition de la loi PACTE permettant la privatisation de la société Aéroports de Paris, avait conduit à reconsidérer le jugement sévère d’inutilité qui lui était adressé. En permettant qu’une proposition de RIP puisse avoir pour objet un texte en cours de discussion au Parlement, les parlementaires se voyaient offrir un moyen de faire pression sur le Gouvernement pour tenter de retarder l’application d’un texte contesté. Cependant les décisions qui ont suivies n’ont fait que confirmer le sentiment initial. Dans la décision RIP 2, rendue en août 2021, sur une proposition visant à garantir un accès universel à un service public hospitalier de qualité, le Conseil constitutionnel a déclaré non conforme l’ensemble du texte alors que seule une disposition était contraire à la Constitution. Dans la décision RIP 3, rendue en octobre 2022, le Conseil constitutionnel avait considéré que la proposition visant à instituer une contribution additionnelle sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises, ne constituait pas une « réforme de la politique économique de la Nation ». Ce faisant, il donnait déjà une interprétation stricte du champ d’application du RIP que l’article 11 alinéa 3 de la Constitution limite à trois grands domaines : l’organisation des pouvoirs publics ; les réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la Nation et aux services publics qui y concourent ; la ratification des traités internationaux ayant des incidences sur le fonctionnement des institutions.

 

Procédure mal conçue dès l’origine

 

Dans la décision RIP 4, le terme « réforme » a focalisé l’attention du Conseil. Analysant le contenu du texte, composé d’un seul article et indiquant que « l’âge d’ouverture du droit à une pension de retraite (…) ne peut être fixé au-delà de soixante-deux ans », il constate que les dispositions en vigueur à la date à laquelle la saisine a été enregistrée prévoient déjà que l’âge légal de départ à la retraite est fixé à 62 ans et donc ne modifient pas l’état du droit existant. La décision du Conseil constitutionnel ôte à l’opposition la faculté de peser par ce mécanisme sur les suites de la réforme adoptée, notamment en ce qui concerne l’ouverture des droits à la retraite à 64 ans. Il est d’ailleurs fort probable que la nouvelle proposition de RIP déposée par des sénateurs le 13 avril subisse le même sort. Au-delà, cette jurisprudence semble condamner l’utilisation du RIP en restreignant considérablement les conditions de son utilisation. Le fait que trois et peut-être quatre décisions sur les cinq propositions dont le Conseil a été saisi jusqu’à présent, aboutissent à des décisions de non-conformité met en lumière les défauts d’une procédure mal conçue dès l’origine car laissant planer trop d’incertitudes sur son application. Dès le départ, le mécanisme du RIP a été pensé pour rendre très exceptionnel le recours au référendum. Pour cela, une multiplicité de barrières a été mise en place. Tout d’abord, l’initiative est parlementaire et non partagée, et a fortiori elle n’est pas populaire. Ensuite, le contrôle confié au Conseil constitutionnel, pour vérifier si la proposition est conforme à la Constitution n’est pas illégitime en soi, car il répond au souci de garantir le respect de la Constitution et d’écarter les propositions qui seraient contraires à celles-ci. Il a été mis en place car les constituants de 2008 se sont accordés sur le fait que les propositions de loi faites dans le cadre de cette procédure ne pourraient pas permettre de modifier la Constitution. Un tel contrôle des propositions de loi avant une soumission éventuelle au référendum est prévu dans de nombreux pays dont l’Italie et le Portugal.

 

Facteur d’insécurité juridique

 

Toutefois, on ne peut qu’être frappé de constater que les propositions de RIP font l’objet d’un contrôle très rigoureux de la part du Conseil constitutionnel alors que les projets de référendum de l’article 11 pouvant être décidés par le chef de l’Etat, à l’initiative du gouvernement ou des assemblées (article 11 al. 1er de la Constitution), ne font l’objet d’aucun contrôle juridictionnel préalable. Le président de la République est donc libre d’interpréter comme il le souhaite le champ d’application du référendum y compris d’utiliser cette procédure pour réformer la Constitution, comme a pu le faire le général de Gaulle en 1962, en dehors de la procédure normale prévue par l’article 89 de la Constitution, pour éviter le blocage du Sénat. 

La troisième barrière tient au nombre de signatures requis pour soutenir la proposition d’initiative parlementaire. Le taux de 10 % du corps électoral est trop élevé pour une procédure qui ne garantit même pas l’organisation d’un référendum.

Les étapes suivantes n’ont pas encore été explorées et laissent planer de nouveau plusieurs inconnues qui ne pourront être levées que par des pratiques qui seront autant d’interprétations du cadre ou de l’absence de cadre existant.

Le flou entourant ce dispositif est un facteur d’insécurité juridique pour tous car il laisse une marge d’appréciation trop importante à ceux qui l’interprètent. Il est d’autant plus regrettable que le RIP est à tort perçu comme un moyen pour les citoyens de faire valoir une revendication forte. Le mal nommé RIP suscite sans doute trop d’attentes par rapport à une volonté grandissante de participation directe des citoyens aux politiques publiques. Il ne constitue ni un droit au référendum, ni un droit d’initiative législative citoyenne.

On pourrait toutefois espérer que les parlementaires d’opposition tirent de cette jurisprudence du Conseil constitutionnel quelques enseignements. Que les propositions de RIP présentées à l’avenir soient de véritables contre-projets aux réformes en cours, déposés plus tôt et mieux préparés. Cela ne règle toutefois pas le problème de ce qu’il se passe après 9 mois de récolte des signatures, période longue qui n’est pas nécessairement propice à l’apaisement des tensions.

C’est la raison pour laquelle la manière dont est appréhendée la participation citoyenne en France doit être repensée et adaptée à de nombreux égards ce qui supposerait une réforme profonde des deux procédures de l’article 11 de la Constitution.