La Parole à .... Pascale RICARD

 

 

 

 

Pascale RICARD,
Juriste en droit de l'environnement au CERIC

 

 

 

 

 

 

 

 

► Pascale Ricard, vous venez d'être recrutée sur un poste de chargée de recherche au CNRS au sein de l'équipe du CERIC. Vos recherches portent sur différents aspects du droit de l'environnement et notamment sur les enjeux du contrôle des ressources, de l'écologie marine et de la sécurité environnementale. Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste votre métier de juriste spécialisé dans ces domaines ?

 

P.R. Mes recherches portent en effet en grande partie sur le droit international de l’environnement et de la mer. Le métier de chercheur en droit, en particulier dans ces domaines, consiste d’abord à analyser le cadre juridique relatif à l’organisation des activités humaines et plus spécifiquement en matière de gestion des ressources, de protection de l’environnement, ou encore de coopération internationale. Cette analyse, qui nécessite de récolter de nombreuses informations, permet de faciliter la compréhension de systèmes juridiques parfois très divers, fragmentés et complexes. Il s’agit aussi d’identifier les insuffisances des différents cadres juridiques étudiés, afin de pouvoir proposer des améliorations et de pallier les difficultés de mise en œuvre du droit international. Enfin, une dimension plus théorique et de long terme peut être ajoutée à cela, qui consiste en une réflexion sur la notion de droit, sa raison d’être, ses évolutions ou encore les grands courants scientifiques sur lesquels elle s’appuie. Ces recherches sont par ailleurs indissociables d’une activité d’enseignement, que j’exerce dans les universités d’Aix-Marseille et Jean-Moulin Lyon 3.

 

► Est-ce que la discipline que vous étudiez est relativement récente dans le paysage universitaire ?

 

P.R. Le droit international de l’environnement est une discipline plutôt récente, oui, puisqu’elle s’est réellement singularisée au sein du droit international dans les années 1990. Cependant, ce caractère récent est relatif, car de nombreux juristes se sont saisis des questions environnementales en lien avec le droit international dès les années 1960. L’étude de cette discipline s’est généralisée au sein de ma génération, probablement du fait d’une volonté accrue de comprendre et de répondre aux enjeux actuels planétaires, d’une ampleur inédite. L’accroissement et le renouvellement des politiques publiques en la matière et de l’activité des juridictions et organisations internationales alimentent ce matériau très intéressant à explorer. Le droit de la mer, en revanche, est l’un des domaines les plus anciens du droit international public, comme en témoigne le principe coutumier de liberté de navigation. La dimension environnementale du droit de la mer est en pleine évolution et la rencontre de ces deux branches, le droit de la mer et le droit de l’environnement, ne se fait pas toujours aisément.

 

► Quelle biodiversité étudiez-vous ? Pouvez-vous nous en dire plus ?

 

P.R. J’étudie particulièrement les questions en lien avec la conservation de la biodiversité marine. J’ai commencé à m’intéresser au droit de la mer et à la biodiversité lors de mes études de master, puis j’ai consacré ma thèse à la question de la conservation de la biodiversité dans les zones maritimes internationales. Ce sujet est passionnant pour plusieurs raisons. Tout d’abord, parce que les océans sont assez peu connus – moins que la surface de la lune –, alors qu’ils couvrent presque les trois quarts de la surface de la terre et constituent le berceau de la vie. Ensuite, parce que les mers et océans constituent des espaces communs que l’on peut qualifier de « biens publics mondiaux ». Ce caractère commun implique un régime juridique très particulier qui diffère en grande partie des régimes juridiques applicables aux espaces terrestres, situés sous la souveraineté des États. Les États étant tous égaux et souverains, comment le droit peut-il assurer la protection d’espaces qui n’appartiennent à personne – ou bien à tous ? Enfin, les océans sont caractérisés par leur continuité et connectivité physique et constituent pour certains scientifiques un seul et même écosystème. Néanmoins, le régime qui leur est applicable est caractérisé par une très forte fragmentation (géographique et juridique), ce qui semble a priori antinomique avec l’idée de continuité et constitue un facteur de complexité, à l’origine d’incohérences.

La biodiversité marine suscite un intérêt de plus en plus important, non seulement parce que de nombreuses espèces sont menacées de surexploitation, ce qui pose des problèmes en termes de sécurité alimentaire, mais aussi parce que sa grande diversité et le caractère très spécifique de certaines ressources génétiques marines (prélevées dans les régions polaires ou les sources hydrothermales en profondeur par exemple) est à l’origine d’importantes découvertes, dans le domaine médical notamment. Cela pose des questions concernant l’exploitation des brevets.

 

► Quelle est l'actualité de votre sujet ?

 

P.R. Des négociations entre États sont en cours afin d’adopter un nouvel accord visant à compléter la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer adoptée en 1982, qui est considérée comme une véritable « constitution » pour les océans. Ce qui est reproché à cette Convention, c’est de ne pas être suffisamment précise concernant les modalités de conservation et d’utilisation durable de la biodiversité des zones maritimes internationales, c’est-à-dire des zones se situant au-delà de la limite de 200 milles nautiques (64% des océans, soit la moitié de la surface de la terre). Le nouvel accord devrait permettre, par exemple, de faciliter la création d’aires marines protégées en haute mer. Il a également vocation à préciser les modalités de mise en œuvre de l’obligation générale de réaliser des études d’impact environnemental pour l’ensemble des activités menées dans ces espaces. De plus, il devrait préciser le statut juridique des ressources génétiques marines et les modalités relatives à leur exploitation. Cette dernière question cristallise des enjeux en termes d’équité entre pays développés et pays en développement. Les premiers souhaitent conserver un régime de liberté d’accès et d’exploitation des ressources génétiques, tandis que les seconds, ne disposant pas encore des technologies nécessaires, réclament un encadrement strict et un partage des bénéfices perçus de leur exploitation, à l’image du régime de patrimoine commun de l’humanité qui caractérise depuis 1982 la zone internationale des fonds marins. Les aspects économiques et environnementaux sont ainsi fortement liés.

D’autres discussions internationales sont actuellement menées au sein du Programme des Nations Unies pour l’environnement, concernant la question de la pollution des océans par les déchets de matière plastique. Les conférences relatives au climat, quant à elles, n’abordent quasiment pas le lien entre le climat et les océans, alors que l’ampleur des conséquences des changements climatiques sur ces derniers et le rôle qu’ils jouent dans la régulation du climat sont des problématiques également très importantes.

 

► Quel a été le rôle de votre parcours universitaire et personnel dans ce choix professionnel ?

 

P.R. J’ai découvert cette discipline et décidé d’y consacrer mes travaux de thèse durant mon master à l’Université Paris 1. Mon parcours universitaire a largement influencé ce choix ainsi que mes domaines de recherches. J’ai réalisé mes études à l’École normale supérieure en droit – économie – gestion (ENS Rennes), après une classe préparatoire D1 à Montpellier. Cela m’a permis de suivre globalement un cursus classique de droit, tout en bénéficiant d’une ouverture importante à d’autres disciplines dont en particulier l’économie, et de développer mon intérêt pour la pluridisciplinarité. Le droit de la mer et le droit de l’environnement, mais aussi le droit international en général, nécessitent en effet de s’intéresser à d’autres domaines comme la biologie, la géographie ou encore la science politique, ce qui est très stimulant. J’ai eu l’opportunité de réaliser un stage de recherche au sein de l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI) à Paris en 2012. À cette occasion, j’ai assisté pour la première fois, à l’ONU, aux discussions relatives à la conservation de la biodiversité dans les zones maritimes internationales qui ont donné lieu aux négociations plus formelles en cours, évoquées ci-dessus. Cette expérience m’a permis de mieux comprendre les enjeux de ces discussions, mais aussi, plus généralement, les modalités du processus de « fabrication » du droit international au sein de ces grandes institutions. J’ai renouvelé cette expérience en réalisant des séjours de recherche et d’observation dans différentes organisations internationales dans le domaine de la biodiversité marine (ONU, Organisation maritime internationale, Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture ou encore Autorité internationale des fonds marins).

 

► Qu'est-ce qui a motivé le choix de l'équipe du CERIC pour votre affectation ?

 

P.R. J’ai toujours été très intéressée par les travaux publiés par les membres du CERIC dans mes domaines de recherche. De nombreux projets portent en effet sur le droit de l’environnement : exploitation des ressources, notamment en Méditerranée, justice environnementale, etc., mais aussi sur les liens de ce droit avec le droit international économique, le droit international général ou encore le droit de l’Union européenne. La dimension maritime a vocation à se développer dans les prochaines années, du fait du renforcement de l’équipe sur cet axe. Le CERIC est une équipe très dynamique qui accueille de nombreux chercheurs du CNRS et rend possible une véritable collaboration entre ses membres (chercheurs, enseignants-chercheurs et doctorants). Mes premiers mois au CERIC m’ont confirmé mes impressions premières. Je suis ravie d’avoir intégré cette équipe et l’UMR DICE plus généralement !

Interview mené par Martine Perron, chargée de la communication et de la valorisation pour l'UMR DICE et le CERIC